« Dans le monde, moins de 5 % des chefs étoilés (Michelin) sont des femmes. Le classement 2019 des 50 meilleurs restaurants au monde en compte seulement 5 tenus par des femmes. La première femme à obtenir le titre de Meilleur ouvrier de France (MOF) — un titre décerné par catégorie de métiers — est la cheffe Andrée Rosier. Le titre existe depuis 1924. Elle a obtenu le sien en 2007. Lors de l’édition 2019 du Bocuse d’or, les Jeux olympiques de la gastronomie, il n’y avait que 2 femmes sur 24 chefs participants et 1 femme dans le jury composé de 24 chefs. – Catherine Lefebvre, Le Devoir »
Le 23 février dernier, dans le cadre du Festival Montréal en lumière, deux des nôtres ont participé à un panel de discussion portant sur la place des femmes en gastronomie : Nicole-Anne Gagnon, qui a longtemps été la seule professeure de cuisine femme à l’ITHQ, et Marion Rousseau, étudiante en cuisine.
Alors que les femmes sur scène échangeaient sur leurs expériences, plusieurs questions nous sont venues en tête : la réalité qu’ont vécue les femmes des générations précédentes diffère-t-elle de celle que vivent les femmes qui débutent présentement leur carrière? Le milieu de la restauration est-il en train d’évoluer? Et surtout, que pense la relève de la place qu’occupent actuellement les femmes en gastronomie? Nous avons demandé à 6 étudiantes et jeunes diplômées (ainsi qu’à 1 garçon) de s’exprimer sur le sujet.
Marion Rousseau, étudiante en cuisine à l’ITHQ
« Je crois que les femmes doivent en faire deux fois plus pour avoir la même reconnaissance que les hommes. À titre d’exemple : j’ai travaillé dans un restaurant où les femmes travaillaient de jour pour faire toute la préparation; les garçons, eux, arrivaient le soir pour le rush. Les hommes étaient donc associés à la performance et à la rapidité alors que les femmes se retrouvaient avec toute la charge mentale. Je trouve ça vraiment absurde que les femmes en cuisine aient si peu de visibilité alors qu’historiquement et culturellement, elles ont toujours cuisiné. Mais encore une fois, on ne valorise pas suffisamment le travail invisible, alors que pour un homme, la cuisine devient un exploit et un spectacle. »
Ariane Lavoie, diplômée en Gestion de la restauration
« Il y a encore beaucoup de préjugés par rapport aux femmes en cuisine au Québec, mais il y a quand même plus d’ouverture ici que dans d’autres endroits du monde. Pendant que j’étais à l’ITHQ, j’ai fait un stage en banlieue de Paris : je n’y ai vu aucune femme en cuisine. Aucune! Quand on parlait de femmes en cuisine, les hommes riaient : ils ne croyaient pas qu’une femme pouvait tenir le coup, surtout que les horaires et le stress sont encore plus intenses là-bas. En tant que femme, j’ai souvent dû prouver que j’étais aussi forte qu’eux. Que je pouvais prendre la critique aussi bien qu’eux. Qu’une brûlure ne me faisait pas si mal que ça. Il faut agir plus comme un homme si on veut se faire respecter dans notre métier. Il faut montrer les dents parfois et ce n’est pas toujours beau. »
Maeva D’Amico, étudiante en service et sommellerie
« Je pense qu’en tant que femmes, on doit se soutenir, ne pas se mettre de bâtons dans les roues (autant à nous-même qu’aux autres) et se lancer dans des projets qui nous intéressent sans avoir peur du résultat. C’est certain que de cette manière, on aura plus de chance de se faire remarquer et de prendre notre place dans le milieu. Ça sonne quétaine, mais il faut se faire confiance, parce que si on ne le fait pas, personne ne le fera pour nous. »
Mariane Boutet, étudiante en Cuisine et gastronomie
« Suis-je optimiste par rapport à ma place dans ce métier? Je suis zéro inquiète! Ma mère m’a toujours appris de ne jamais m’apitoyer sur son sort et de faire ma place. Elle m’a toujours poussée à aller chercher ce que je désirais. Je sais que je ne me laisserai pas marcher sur les pieds. En fait, j’ai très hâte de commencer ma carrière! »
Maxim Guillemette, diplômée en Cuisine supérieure
« Il faudrait arrêter de séparer les hommes des femmes comme si on était aux Olympiques! La cuisine, c’est des saveurs et de l’amour. Il faut commencer à reconnaître les cheffes pour les cheffes qu’elles sont, et non pas parce qu’elles sont des femmes. »
Félix Bouchard Langlois, diplômé en Cuisine et gastronomie
« Dans mon milieu de travail, on est autant d’hommes que de femmes. J’imagine que le « boys club » existe encore dans certaines cuisines plus traditionnelles et hiérarchiques, mais ce sont des valeurs qui appartiennent au passé. Ici, tous les membres de l’équipe ont moins de 25 ans et ça se fait sentir au niveau de l’acceptation d’autrui. Peu importe son apparence, son genre ou son orientation sexuelle, tout le monde mérite de travailler à son plein potentiel. »
Émilie Bégin, diplômée en Cuisine supérieure
« J’ai toujours été acceptée dans les cuisines, autant par les gens en salle que par ceux aux fourneaux. Je pense sincèrement que notre génération a une immense ouverture d’esprit. Et je crois qu’un(e) bon(nne) cuisinier(ère) ne se fait pas valoir par son sexe, mais bien par sa performance. C’est tout ce qui compte aujourd’hui.
Je crois aussi que le plus important dans ce métier, c’est de s’entourer de gens passionnés qui vont nous faire évoluer. Pour moi, ça a été les premières femmes avec qui j’ai travaillé : Fabrizia Rollo et Marie-Fleur St-Pierre. J’ai vu en elles une force de caractère, de la douceur, une cuisine réfléchie et une passion sans nom pour ce métier. J’ai aussi découvert une autre femme : ma mère. Elle a ouvert un restaurant végétarien avec ma sœur. J’admire cette femme parce qu’elle s’est lancée dans cette aventure sans trop savoir dans quoi elle s’embarquait. Maintenant, c’est une autre personne. Je la vois épanouie, enfin.
Pour toutes ces raisons, je crois, hors de tout doute, que les femmes ont leur place dans ce métier. Parce que tout ce qui compte, au fond, c’est la passion! »
Et pour le mot de la fin, on laisse la parole à Ariane :
« Pour que les femmes soient plus reconnues, je crois qu’il faudrait d’abord qu’il y en ait davantage en cuisine. Souvent on nous décourage, on nous dit que c’est trop difficile comme milieu. Mais il ne faut pas écouter. Il faut oser! Plus nous serons nombreuses, plus les choses vont changer. »
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