Les leçons de vie du grand Alain Labrie

Publié le 20 juin 2022

Photo par © Jocelyn Riendeau

Diplômés

Restauration

À la barre de La Table du Chef pendant près de 15 ans, Alain Labrie et sa conjointe, Joëlle Beaupré, ont fermé les portes de leur réputé restaurant de Sherbrooke le 30 avril dernier. Cumulant 40 ans de carrière, le chef partage ses grandes leçons pour tenir bon dans le métier.

J’ai emménagé dans les Cantons-de-l’Est il y a plus de 35 ans, quand j’ai eu l’occasion de travailler à l’Auberge Hatley, en 1986. Je viens de la région des Bois-Francs, dans le Centre-du-Québec, et mon épouse vient de la Gaspésie. Je l’ai d’ailleurs rencontrée pendant mon cours en cuisine supervisé par l’ITHQ à l’auberge Fort-Prével, à Saint-Georges-de-Malbaie, près de Gaspé.

L’Auberge Hatley m’a notamment permis de voyager, de rencontrer beaucoup de monde et de travailler avec des produits exceptionnels. L’hôtel a malheureusement brûlé et j’ai décidé, peu de temps après, d’ouvrir La Table du Chef, en 2007.

Notre restaurant allait célébrer ses 15 ans cet été. Avant, j’avais passé 17 ans à l’Auberge Hatley. Je n’ai donc pas changé souvent de restaurant dans ma carrière!

Dans notre établissement, j’ai toujours défendu les produits du Québec. C’était une réelle passion pour moi. Mon fournisseur de foie gras, par exemple, ça faisait 30 ans qu’on travaillait ensemble. Mon producteur de canard, ça faisait plus de 20 ans qu’on collaborait. J’avais plusieurs fournisseurs de longue date.

« Et parce qu’on leur était fidèles, je pouvais leur faire des demandes spéciales et ils me disaient : « Alain, si je peux le faire, je vais le faire. » »

On avait la même approche avec nos invités. J’avais beau faire le meilleur plat possible, si les gens avaient été mal accueillis ou mal servis, ça n’aurait jamais marché. Le service à la clientèle était l’une de nos grandes forces. Les clients qui venaient seulement manger un plat de pâtes étaient aussi importants que ceux qui prenaient le menu dégustation. On servait tout le monde avec la même chaleur, pour que la clientèle se sente bien.

Dans l’équipe, plusieurs employés étaient là depuis l’ouverture et connaissaient très bien nos clients. Si bien que sur les bons de commande, on n’écrivait pas leurs intolérances ou leurs aversions alimentaires, mais on écrivait : « Monsieur Gaumont, Monsieur Perron… ». En cuisine, on savait que le premier ne mangeait pas de bok choy et que le second voulait sa sauce à part.

Avec le temps, plusieurs clients sont devenus des amis. J’ai même vu grandir leurs enfants. Au début, les petits mangeaient des pâtes au beurre. Les dernières fois que je les ai vus, ils venaient manger du foie gras poêlé… comme leurs parents. Ça, c’est super le fun!

Crédit photo : Jocelyn Riendeau

D’ailleurs, je me rappellerai toujours la fois où j’ai été engagé comme chef à domicile pour des clients du restaurant. J’ai cuisiné à leur mariage… et j’ai même fait chauffer le lait pour leur bébé pendant les célébrations! Quand on a annoncé qu’on fermait, ils tenaient absolument à être là. Celle pour qui j’ai préparé un biberon avait maintenant 9 ans.

Une des grandes leçons de ma carrière que je retiens, c’est l’importance du réseau de soutien. Mon épouse a toujours été à mes côtés et c’est la première qui m’a dit que je serais un grand chef. À l’époque, je n’y croyais pas vraiment. Elle n’avait pas tort finalement! (Rires)

Ça s’étend également à toute l’équipe. Tu ne fais rien tout seul, tu as besoin de tout le monde. Ça part du plongeur et ça va jusqu’au sommelier et au chef. D’ailleurs, je rappelais souvent aux jeunes en début de carrière que l’amour de la cuisine n’est pas suffisant dans ce métier. Il faut plus que ça. Il faut avoir beaucoup de respect pour les produits avec lesquels on cuisine, tout comme pour les gens avec qui on travaille. Et ça concerne tout le milieu de la restauration.

Ici, à Sherbrooke, je connais plusieurs chefs; on est resté amis. Encore aujourd’hui, si j’ai besoin d’un coup de main, je sais qui peut m’aider. Celui qui a besoin de moi n’a qu’à m’appeler et je serai là, même si j’ai pris ma retraite! Pour moi, cette relation avec les collègues a toujours été primordiale. Si je n’avais pas eu ça, je n’aurais jamais pu tenir mon restaurant pendant 15 ans ni travailler dans cette industrie pendant 40 ans.