Dans l’édition du 6 avril 2020 du New Yorker, le Dr. Anthony Fauci, directeur de l’Institut National des allergies et maladies infectieuses des États-Unis, suggérait à la population d’aborder la situation actuelle avec une approche basée sur les conditions (condition based-approach) : « Ce n’est pas vous qui faites la chronologie, a-t-il dit, c’est le virus qui la fait. ».
Pour notre industrie dont la culture d’entreprise se base sur le relationnel, le sens de l’accueil et l’expérience du visiteur, il va sans dire que de ne pas être en mesure de contrôler le retour à la normale nécessite une énorme dose de patience, d’humilité, d’agilité et surtout, de résilience pour la suite des choses.
À la recherche de sens
Sans visiteur, nous perdons notre raison d’être et notre sens sociologique le plus profond, puisque celui-ci se définit, fondamentalement, par des échanges culturels et culinaires, et par son ouverture au monde. Nicolas Bouvier, dans son livre L’usage du monde, le dit mieux que personne : « On voyage pour que les choses surviennent et changent ; sans quoi on resterait chez soi. ». Cette phrase écrite en 1963 rejoint une tendance lourde des dernières années, celle du tourisme transformationnel qui « permet au voyageur de s’immerger dans les vertus du voyage, qu’il soit émotionnel, social, physique ou spirituel. C’est la poursuite de devenir de meilleures versions de nous-mêmes et, ce faisant, notre humanité est renforcée. » Évidemment, le contexte actuel fait en sorte que, pour l’instant, les voyages sont plutôt tournés en nous-mêmes ce qui, en soit, n’est peut-être pas une mauvaise chose.
En parallèle, pas un jour ne passe sans que de nouvelles statistiques sur les impacts de cette pandémie ne soient publiées et que des témoignages de leaders de l’industrie touristique ne soient partagés. Avec ce flot continu d’informations, il est normal d’avoir l’impression d’être légèrement à la traîne. Pour paraphraser M. Vishal Gaur, professeur émérite à la faculté de gestion SC Johnson College of Business de l’Université Cornell, « nous vivons la crise actuelle comme si nous tentions de piloter une voiture en regardant dans le rétroviseur embué une route que nous ne reconnaissons pas ».
Apprendre du passé
Depuis quelques semaines maintenant, nous nous rendons compte d’un fait indéniable : si on dit que l’histoire est écrite par l’Homme, on ne peut que reconnaître l’impact important que les microbes ont eu et auront éventuellement sur l’évolution de nos sociétés.
Dans un texte paru le 25 mars dernier, Forbes nous rappelait que chaque pandémie venait avec son lot d’innovations. Par exemple on y apprend que la Peste Noire (entre 1346 et 1353) avait donné naissance à la société moderne (rien de moins!) : ouverture des mentalités envers la médecine basée sur l’expérimentation et la science, automatisation des outils pour accélérer le travail, partage des terres et donc, meilleure alimentation, réduction des inégalités, accessibilité aux études pour un plus grand nombre et même, création du sablier et de l’horloge dans le but de garder trace du temps investi dans les tâches axées vers la production. D’ailleurs, comme le souligne Francine Michaud, professeure émérite en histoire médiévale à l’Université de Calgary, « ce qui m’a étonnée comme chercheuse, c’est le goût de la vie des survivants de la peste. Ils ont rebâti leur société sous tous les angles et ils l’ont fait de manière très optimiste ».
On sait aussi que l’épidémie de variole de Boston (1721) a mené à la variolisation (ancêtre du vaccin) ainsi qu’à la presse libre et que l’épisode de SRAS (2003) a eu un impact gigantesque sur le commerce électronique (surtout en Chine), en accélérant la mutation des habitudes de consommation. Comme quoi une goutte de lumière peut donner de la couleur au noir, à méditer pendant ce temps de confinement qui nous affecte tous.
Pour les gestionnaires de l’industrie touristique, il est évident que plusieurs scénarios sont sur la table quant à la réouverture de leur établissement. Que des stratégies sont déjà discutées. En attendant de voir quelles innovations durables résisteront à la présente pandémie – car il y en aura – il est important de rester alertes et s’informer auprès de sources crédibles en lien avec nos préoccupations. Nous vous en fournissons d’ailleurs une liste ici.
Le chemin des possibles
Quand on comprend l’univers dans lequel on évolue, l’action crée l’espoir. Christian Delom, secrétaire général de A World For Travel, a publié le 6 avril dernier un texte fort percutant sur le changement de paradigme que l’industrie du voyage devra opérer lors du redémarrage. L’un de ses constats : « Le chemin des possibles, les acteurs de ce chemin, les responsables de son bon déroulement ont donc une responsabilité majeure : se réinventer en profondeur, faire moins pour faire mieux, repenser l’expérience, redonner au voyage le sens premier, celui de la découverte. ».
Cette réflexion peut s’opérer dès maintenant. Le Dr Fauci l’a précisé et l’histoire nous l’a montré : l’échéancier sera dicté par le virus et des innovations sont possibles. D’ici là, saisissons cette opportunité de réflexion et prenons le temps qui nous est imparti pour nous documenter, nous instruire et pour revoir nos opérations dans un monde où meilleures pratiques rimeront avec la nouvelle réalité du tourisme 2m. En terminant, n’oublions pas que la vision est un critère de décision et que, pour le dire avec Antoine de St-Exupéry, « un but sans un plan est seulement un souhait ».
Pour écrire à notre professeur : [email protected]
Sources :
The Meaning of Donald Trump’s Coronavirus Quackery, Steve Coll, Unscientific Method, The New Yorker, 6 avril 2020, p. 11.
Industry Experts Reveal Top Travel Trends and Hot Destinations for 2020, eHotelier, 5 décembre 2019.
Global Supply Chain Agility and Fragility : Navigating the COVID-19 Crisis, Keynote, eCornell, 10 avril 2020.
Pourquoi les pandémies sont propices à l’innovation?, Forbes, 25 mars 2020.
Ce que l’on peut apprendre de la peste noire du Moyen-Âge, Radio-Canada, 11 avril 2020.
Voyage : « c’est une crise ? Non, c’est une révolution ! », L’écho touristique, 6 avril 2020.
De quoi sera fait le tourisme de demain?, Jean-Michel Perron, TourismExpress, 10 avril 2020.