Emmanuel Stip : Sommelier entre deux mondes

Publié le 28 septembre 2022

Diplômés

Sommellerie

Il faut avouer que la feuille de route d’Emmanuel Stip a quelque chose d’intimidant. Professeur émérite au département de psychiatrie de la faculté de médecine, auparavant chef du département de psychiatrie à l’Université de Montréal, chercheur clinicien pour le Fonds de Recherche du Québec… et sommelier diplômé à l’ITHQ. Mais un médecin qui trippe sur le vin, n’est-ce pas un peu paradoxal? Portrait d’un homme fascinant, au confluent de ses nombreuses passions.  

« Je me suis toujours intéressé à l’olfaction, à la gustation, à la mémoire. »

Passionné par la neurologie, Emmanuel Stip a d’abord fait médecine avant de se diriger vers la psychiatrie, un domaine riche en mélanges culturels. Les patients avec lesquels il aimait le plus travailler étaient les psychotiques, ou les personnes aux prises avec des problèmes de drogue et d’alcool.

À la fin de son mandat à titre de chef du département de psychiatrie de l’Université de Montréal, Emmanuel Stip a fait le saut et s’est inscrit aux études en sommellerie à l’ITHQ, pour approfondir ses connaissances en addictologie.

« Mes collègues étaient plus jeunes que moi, et il fallait que je me libère pour mes cours le mardi et le jeudi comme j’étais de garde au CHUM. Mais je passais mes examens avec la même rigueur que lorsque j’étais étudiant en médecine », se souvient-il. Et c’est dans le cadre de ses études à l’ITHQ qu’Emmanuel Stip a fait une découverte étonnante : la psychiatrie et la culture du vin ont beaucoup de choses en commun!

« Il y avait tellement de fils conducteur entre les deux cultures, je me suis dit que j’allais faire un livre pour montrer tous ces points de rencontre. Et j’ai pris mon pied à étudier les deux champs! »

Récompensé comme le premier Best of the World catégorie Drink & Health par Les Gourmand book Awards en Suède en 2021, son livre Le vin et la psychiatrie publié aux Éditions l’Harmattan documente les parallèles surprenants qui existent entre la psychiatrie et la viticulture, l’œnologie et le travail du sommelier. L’ouvrage démontre ainsi comment les différents travaux du vin peuvent nous éclairer en retour sur la psychiatrie.

Par exemple, les sommeliers, tout comme les psychiatres avec leurs patients, entretiennent une relation thérapeutique avec le verre. Ils cherchent des signes distinctifs, des indices pouvant mener à un diagnostic. Le patient fait-il de la fièvre, parle-t-il vite, est-il amorti? Le vin est-il rouge, blanc, doré, sucré? « On fait en somme de la sémiologie, comme un clinicien ».

Fort de son approche biopsychosociale, Emmanuel a aussi constaté des points de rapprochements fascinants entre la génétique et le cépage. Les humains possèdent tous leur histoire, des facteurs sociaux qui affectent leur développement, comme le terroir affecte à son tour le cépage.

« Le plus important, c’est les relations humaines. On ne regarde plus le vin de la même façon quand on sait qu’il a une histoire et que quelqu’un a pris soin de lui. En psychiatrie, c’est pareil. »

On pourrait croire que la sommellerie et la psychiatrie sont des sujets qui doivent être traités avec sérieux et austérité, mais Emmanuel tenait à proposer une perspective alternative : « Il y avait un risque pour un médecin de faire l’apologie du vin, mais je ne dis pas aux gens de boire un coup. Ce que je veux transmettre, c’est que c’est une culture magnifique qui a historiquement été très en contact avec la médecine. »

Et cette joie est manifeste dans sa voix. L’ouvrage a reçu l’appui précieux de ses pairs, réunissant les contributions inestimables de grands sommeliers, incluant des professeurs de l’ITHQ, des restaurateurs d’expérience ainsi que des médecins en addictologie du CHUM.

« J’aime les deux aspects de ma personne, maintenant. Celui qui connaît bien la médecine, puis celui qui apprécie le monde du vin, de la grappe jusqu’au verre. »

Il semble que toute sa vie, Emmanuel Stip ait tenté de trouver le point de rencontre entre ses nombreuses passions. Sa connaissance de la viticulture lui a appris à voyager autrement, à aller à la rencontre des gens. Son amour pour l’art se manifeste autant dans l’appréciation des étiquettes que dans son implication dans le CA des Impatients, qui vient en aide aux personnes ayant des problèmes de santé mentale par le biais de l’expression artistique.

« J’ai toujours pensé que la psychiatrie n’évolue pas par elle-même; elle évolue en relation avec les autres cultures. C’est comme ça qu’on s’est intéressé à la psychanalyse, à la philosophie, à la sociologie. Pour moi, ce n’est jamais un défaut quand je vois un psychiatre s’intéresser à autre chose. C’est un peu ça, ma personnalité. Je pense qu’il faut s’épivarder! »