La légende du colibri en temps d’adversité

Publié le 5 mai 2020

Écrit par Jean-Thomas Henderson, M.Sc., professeur de gestion à l’ITHQ et collaborateur ExperiSens, le Centre collégial de transfert de technologie (CCTT) de l'ITHQ

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Devant l’énormité de la mission qui attend les hôteliers, il peut être intimidant – voire décourageant – d’aborder la situation dans son ensemble. En effet, les tâches à accomplir peuvent sembler une montagne difficile à gravir. Que ce soit la mise en place des mesures sanitaires, la réintégration du personnel, en passant par la gestion des stocks, la réouverture des plates-formes de réservations et la réalisation d’un « grand ménage » en profondeur, ce sont des tâches dignes des 12 travaux d’Hercules qui attendent les forces de travail dans les semaines à venir.

Certes, on en trouvera toujours certains pour dire que l’incertitude est source d’innovations en temps de crise. Nous en sommes. Il est vrai aussi que certains privilégiés ont suffisamment de capital, de relations et les reins assez solides pour ne pas subir trop drastiquement les contrecoups de ce passage à vide. Toutefois, quand cette incertitude frappe de plein fouet la santé financière de l’organisation, quand 80 % de l’équipe est en mise à pieds forcée et que le taux d’occupation est à un plus bas historique, ces encouragements peuvent parfois s’avérer futiles, déconnectés de la réalité. C’est pour cela que les hôteliers doivent se motiver à suivre l’approche incrémentale – étape par étape – que démontre courageusement le colibri dans la légende qui suit.

La légende du colibri

Un jour, dit la légende, il y eut un immense incendie de forêt. Tous les animaux terrifiés, atterrés, observaient impuissants le désastre. Seul le petit colibri s’activait, allant chercher quelques gouttes avec son bec pour les jeter sur le feu. Après un moment, le tatou, agacé par cette agitation dérisoire, lui dit : « Colibri! Tu n’es pas fou? Ce n’est pas avec ces gouttes d’eau que tu vas éteindre le feu ! » Et le colibri lui répondit : « Je sais, mais je fais ma part. ». Cette légende illustre que nous ne sommes pas impuissants face au désastre : nous pouvons tous exercer notre responsabilité, notre libre arbitre, notre pouvoir sur une situation donnée qui met à l’épreuve notre résilience.

Nous pouvons tous faire notre part. Pas pour sauver le monde, pas parce que nous savons que notre action fera toute la différence, mais simplement parce que notre conscience, nos valeurs nous le dictent. En s’inspirant du colibri, de l’approche des petits pas, les hôteliers prendront conscience que leurs actions, aussi petites soient-elles, sont essentielles à la continuité des activités. 

« Choisissez des batailles assez importantes pour compter, mais assez petites pour les gagner. – Jonathan Kozol, écrivain américain »

Une phrase qui peut servir de guide aux hôteliers en ces temps d’adversité. Car l’expérience nous le démontre : vouloir s’attaquer immédiatement à un problème trop grand est voué à l’échec. Alors qu’une stratégie globale faite d’une succession de petites étapes, de petits objectifs stratégiques, de petites batailles accessibles (par exemple : revoir son design de service afin d’opérer en respectant la distanciation sociale exigée) et remportées (par exemple : maintenir le lien avec l’équipe de travail en offrant des formations et en démontrant une empathie réelle) peut conduire à une remise sur les rails beaucoup plus efficace.

À leur manière, les mots de Kozol résument assez bien la méthode japonaise kaizen, aussi appelée l’approche des petits pas.

La méthode kaizen pour organiser l’action

Le mot kaizen est la contraction de deux termes japonais : Kai – changement, et Zen – meilleur. Pour en donner une définition plus managériale : 

« Le Kaizen est un processus d’évolution continue qui repose sur de petites améliorations répétéesau quotidien. Pour que cela fonctionne, chaque membre de l’équipe doit être impliqué et proposer des idées d’évolution. »

Pour Masaaki Imai, l’un des penseurs derrières l’approche, en hiérarchisant les changements à mettre en place en privilégiant les progrès faciles, rapides et peu coûteux, la méthode kaizen permet de rendre concret l’incertitude. Autrement dit, de ne plus voir l’ensemble comme un bloc mais comme des portes à ouvrir, l’une après l’autre, pour arriver à la fin du pallier. 

En gestion, la vitesse et la rapidité sont souvent élevés au rang de vertus au détriment de la réflexion et de la patience L’approche kaizen est différente : en optimisant les tâches avec la méthode des petits pas, nous pouvons garder le contrôle sur l’instable et tourner l’urgence en prudence et ensuite en actions. 

Et la résilience dans tout ça?

Résilience. Probablement un des mots les plus utilisés – avec raison – depuis le début de cette « nouvelle normalité ». Yasemine Oruc, une collègue professeure de l’Hotelschool The Hague, a beaucoup travaillé cette notion de résilience. Pour elle, il s’agit « d’avancer malgré l’adversité en lien avec nos buts et en respectant notre vision organisationnelle. ». Elle nous encourage d’ailleurs à nous poser quatre questions fondamentales :

  1. De quelles façons pouvons-nous répondre à la crise?
  2. Quelles actions pouvons-nous mettre en place pour nous ajuster à la nouvelle situation?
  3. Comment pouvons-nous grandir humainement et en tant qu’entreprise?
  4. Comment pourrons-nous rebondir lors de la reprise?

Peu importe le poste que l’on occupe dans notre organisation, ces quatre éléments peuvent être à la base d’une réflexion positive quant à notre apport à la situation actuelle.

Gardons en tête le colibri dans les prochaines semaines : il suffit parfois d’une petite action pour créer un grand engouement et même, éteindre un feu!

Pour rejoindre notre professeur : [email protected]


Sources : 

Cyril Dion, Petit manuel de résistance contemporaine, Actes Sud, 2018.

William Safire, Words of Wisdom, Simon and Schuster, 1990.

Kaizen.com

Cécile Nadaï, La méthode Kaizen ou le principe d’amélioration continue, Welcome to the jungle, 8 juillet 2019.

Yasemine Oruc, extrait de la conférence Mindfulness in Hospitality Business, Hotelschool the Hague, Amsterdam, Novembre 2019.